Comment demander la démolition d’une construction illicite ?
Publié le 15 Décembre 2016
Le juge judiciaire ne peut ordonner la démolition des constructions édifiées en violation des règles d’urbanisme mais il peut ordonner la démolition des constructions édifiées en violation d’une règle qui n’est ni une servitude d’urbanisme, ni une servitude d’utilité publique...
A titre liminaire, il existe différentes catégories de servitudes pouvant affecter l’utilisation du sol.
On les rencontre principalement dans le Code Civil (art. 637 à 710), mais également dans des textes spéciaux (le Code de l’Urbanisme, le Code Forestier, le Code Rural, le Code de la Santé Publique ...)
Les principaux types de servitudes
Les servitudes de droit privé constituent un droit réel, accessoire du droit de propriété. Elles sont intrinsèquement liées à l’immeuble. Les principales servitudes de droit privé ont pour origine la loi. L’article 637 du code civil évoque les charges imposées sur un héritage pour l’usage et l’utilité d’un héritage appartenant à un autre propriétaire.
A ce titre, citons :
- les servitudes légales de passage afin d’accéder à un fonds par un autre fonds (le droit de passage),
- les servitudes de vue,
- la distance minimum des plantations par rapport à la limité séparative d’un terrain,
- la servitude d’écoulement, etc.
Les servitudes d’urbanisme peuvent s’appliquer soit à l’ensemble du territoire national (RNU), soit à certaines parties du territoire (Plan Local d’Urbanisme PLU, ...).
Les servitudes d’utilité publique sont des servitudes administratives (distinctes des servitudes d’urbanisme) qui doivent être annexées au PLU lorsqu’il existe. Elles se répartissent en 4 grandes catégories :
- les servitudes relatives à la protection du patrimoine (monuments historiques et sites protégés),
- les servitudes relatives à l’utilisation de certaines ressources et équipements,
- les servitudes relatives à la défense nationale,
- les servitudes liées à la salubrité et à la sécurité publique (surfaces submersibles, plans de prévention des risques, protection autour des mines et carrières).
Les servitudes relatives à la conservation du patrimoine
Elles concernent le patrimoine naturel et le patrimoine culturel (monuments historiques, monuments naturels et sites).
La loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques a amélioré les dispositions de la loi du 30 mars 1887 :
- en élargissant le champ de protection des critères de classement (biens dont la conservation répond non seulement à la notion d'intérêt national mais à celle d'intérêt public qui englobe le petit patrimoine local ; ce qui peut impliquer en conséquence un classement étendu à la propriété privée sans avoir besoin du consentement du propriétaire),
- en définissant les intervenants obligatoires,
- et en instaurant des sanctions pénales et civiles en cas de travaux sur des monuments classés sans autorisation.
La loi du 25 février 1943, modifiant la loi du 31 décembre 1913, a imposé une vigilance à l’égard des projets de travaux proches des monuments historiques en introduisant un champ de visibilité de 500 mètres. Le législateur de 1943 considère qu'un monument est aussi l’impression que procurent ses abords. La valeur patrimoniale et l'aménité d'un monument constituent l’impression que procurent ses abords. (Une aménité environnementale est tout aspect de l'environnement appréciable et agréable pour l'homme, dans un lieu ou un site particulier). Est réputé être situé aux abords d’un monument historique, tout immeuble situé dans le champ de covisibilité de celui-ci (qu'il soit classé ou inscrit).
Lorsqu’un immeuble est situé dans le champ de visibilité d’un immeuble protégé au titre des monuments historiques, il ne peut faire l’objet, tant de la part des propriétaires privés que des collectivités et des établissements publics, d’aucune construction nouvelle, d’aucune démolition, d’aucun déboisement, d’aucune transformation ou modification de nature à en affecter l’aspect, sans une autorisation préalable.
Protéger la relation entre un édifice et son environnement consiste à veiller à la qualité des interventions (façades, toitures, matériaux), à prendre soin du traitement des sols, du mobilier urbain et de l'éclairage, voire à prohiber toute construction nouvelle aux abords du monument.
La servitude de protection des abords intervient automatiquement dès qu'un édifice est classé ou inscrit. Toutes les modifications de l'aspect extérieur des immeubles, les constructions neuves, mais aussi les interventions sur les espaces extérieurs doivent recevoir l'autorisation de l'Architecte des bâtiments de France (ABF). La publicité et les enseignes sont également sous son contrôle.
La covisibilité signifie que la construction est visible du monument, ou que les deux édifices sont visibles conjointement. Il s’agit d’un rayon de 500 mètres, à compter de la base de l’élément protégé. Depuis la loi SRU, le périmètre de protection peut être modifié (élargi ou rétréci), sur proposition de l'ABF, avec l'accord du conseil municipal. C’est ainsi que tout paysage ou édifice situé dans ce champ est soumis à des réglementations spécifiques en cas de modification. Toute construction, restauration, destruction projetée dans ce champ de visibilité doit obtenir l’accord préalable de l’ABF (avis conforme, c'est-à-dire que le maire est lié à l'avis de l'ABF), ou un avis simple s'il n'y a pas de covisibilité (dans ce cas l'autorisation du maire n'est pas liée à celui de l'ABF).
La constatation des infractions aux servitudes d’urbanisme : la règle de fond
L’article L 480-1 du code de l’urbanisme dispose que les infractions aux règles d’urbanisme sont constatées par tous officiers ou agents de police judiciaire ainsi que par tous les fonctionnaires et agents de l'Etat et des collectivités publiques commissionnés à cet effet.
Les « règles d’urbanisme » évoquées à l’art. L 480-1 ne sont pas celles dont parlent l’article 637 du code civil. Il s’agit des règles de fond par opposition aux règles de forme ou procédurales.
Les règles de fond ou « servitudes d’urbanisme » règlementent l’occupation de l’espace. Elles sont dépourvues de tout pouvoir d’appréciation de l’administration. Elles interdisent, limitent ou encadrent les constructions dans une zone. Elles ont un impact sur la hauteur, la distance par rapport à une voirie ou par rapport aux parcelles contigües…
Un tiers ne peut pas obtenir la démolition d’une construction édifiée sans permis, sans établir une violation aux servitudes d’urbanisme qui lui porte préjudice. (Civ 3ème, 17/11/1971, n° 69-13989)
Ce sont les règles de fond qu'il faut invoquer devant la juridiction civile. L’absence de permis de construire ou l’irrégularité du permis ne peuvent être invoquées par un voisin au soutien de sa demande en réparation ou de sa demande en démolition, si elle n’est pas accompagnée d’une violation de règle de fond.
L’action devant le juge judiciaire : la preuve d’un préjudice personnel en lien direct avec la faute résultant du manquement à la règle d’urbanisme
La réalisation d’une construction peut être contestée pour non respect des règles d’urbanisme si l’on peut prouver l’existence d’une faute et apporter la preuve d’un préjudice personnel et direct. Telles sont les conditions exigées par l’article 1240 du code civil (ex art. 1382 – fait – dommage - lien de causalité).
Quand bien même, l’administration aurait annulé le permis de construire, il faut démontrer au juge judiciaire l’existence d’un préjudice personnel en relation directe avec la violation de la servitude d’urbanisme.
La servitude de prospect est un bon exemple. Elle consiste en l'interdiction faite au propriétaire d'un fonds de ne faire aucune construction, ni ouvrage ou plantation qui gênerait la vue du propriétaire voisin aussi loin qu'elle peut s'étendre. Si, devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, les particuliers peuvent invoquer la violation des règlements administratifs instituant des charges d'urbanisme ou des servitudes d'intérêt public, c'est à la condition de prouver l'existence d'un préjudice personnel qui soit en relation directe de cause à effet avec l’infraction. Dans l’arrêt CIV 3ème, 17/03/1976, n° 74-14570, il n'existe aucune relation entre la violation d'une règle de reculement prescrite par le PLU de Pornic et le préjudice résultant de l'existence de vues de terrasses sur la propriété du voisin. En l’espèce, le juge n’a pas trouvé de lien entre le préjudice allégué – la vue sur le fond du voisin – et la violation de la règle d’urbanisme – les constructions élevées en bordure de voies privées qui doivent être implantées à 6 mètres de l’axe de la voie, les reconstructions, surélévations et agrandissements d’immeubles existants étant soumis aux mêmes règles.
Le juge judiciaire ne peut ordonner au propriétaire la démolition des constructions édifiées en violation des règles d’urbanisme
L’article L 480-13 du Code de l’urbanisme en son paragraphe 1 dispose que lorsqu'une construction a été édifiée conformément à un permis de construire, le propriétaire ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à la démolir du fait de la méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir par la juridiction administrative et si la construction est située dans une zone spécialement protégée.
Parmi ces zones, citons :
- Les sites inscrits ou classés en application des articles L. 341-1 et L. 341-2 du code de l’environnement,
- Les sites patrimoniaux remarquables créés en application des articles L. 631-1 et L. 631-2 du code du patrimoine ainsi que les abords des monuments historiques prévus aux articles L. 621-30 et L. 621-31 du même code,
- Les secteurs délimités par le PLU en application des 2° et 5° du III de l'article L. 123-1-5 du code de l’urbanisme.
L'action en démolition doit être engagée dans le délai de 2 ans qui suit la décision devenue définitive de la juridiction administrative.
L’article L 480-13 n’évoque pas l’action indemnitaire en dommages et intérêts dirigée contre le propriétaire qui peut être recherchée selon les règles de droit commun dans le délai de l’article 2224 du code civil (5 ans suivant l’achèvement des travaux).
A l’encontre du constructeur, l’article L 480-13 en son paragraphe 2 stipule qu’il ne peut être condamné par un tribunal de l'ordre judiciaire à des dommages et intérêts que si, préalablement, le permis a été annulé pour excès de pouvoir ou si son illégalité a été constatée par la juridiction administrative.
L'action en responsabilité civile doit être engagée au plus tard 2 ans après l'achèvement des travaux. Lorsque l'achèvement des travaux est intervenu avant la publication de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, la prescription antérieure continue à courir selon son régime.
L’article L 480-13 n’évoque pas l’action en démolition à l’encontre du constructeur. C’est uniquement une action indemnitaire.
Le juge judiciaire peut ordonner au propriétaire la démolition des constructions édifiées en violation d’une règle qui n’est ni une servitude d’urbanisme, ni une servitude d’utilité publique
L'article L. 480-13 ne vise que les infractions relatives à la méconnaissance des règles de l'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique (CRIM , 18/10/1995, n° 94-85303).
Les troubles anormaux du voisinage échappent aux contraintes de l’article L 480-13 et permettent de demander l’action en démolition au juge judiciaire non pas sur le moyen d’une méconnaissance d’une servitude d’urbanisme mais sur celui de l’inconvénient anormal du voisinage. Il convient de démontrer le caractère « anormal » du trouble de voisinage sur le principe que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage (CIV 3ème, 26/05/2016, n° 14-24686)
Le préjudice d’un trouble de voisinage peut être :
- La privation ou la diminution de vue,
- La perte d’ensoleillement,
- Une atteinte à la salubrité ou à la sécurité du fonds proche de la construction illicite,
- Une perte d’intimité,
- La diminution des possibilités d’utilisation ultérieure du sol,
- Les troubles de jouissance (bruits, odeurs,…).
Concernant les activités industrielles, artisanales, commerciales ou agricoles, le juge ordonne très souvent la cessation de l’activité gênante lorsqu’il n’y a pas de solution alternative à la suppression des troubles.