Les troubles de voisinage : construction nouvelle, piscine, vue plongeante, haie arbustive, etc.
Publié le 6 Avril 2019
L’art. 544 du Code civil dispose que la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements.
Troubles de voisinage causés par une nouvelle construction
Les inconvénients normaux de voisinage
CIV 3, n° 17-18238, 17/05/2018
M. et Mme X..., propriétaires d'un pavillon d'habitation ont assigné M. Z..., propriétaire de la parcelle voisine, sur laquelle il a construit un immeuble d'une hauteur de 8,90 mètres, en suppression de vues et paiement de dommages et intérêts. M. et Mme X...ont fait constater l'existence de vues obliques sur leur fonds et ont demandé la condamnation de M. Z... à supprimer ces vues sous astreinte de 1.000 € par jour de retard.
La Cour d’appel de Paris ne les a pas suivis. Le pourvoi en cassation de M. et Mme X... a été rejeté.
Le premier moyen concerne un litige relatif à l’article 678 et suivants du Code civil et particulièrement l’article 679 qui dispose que l’on ne peut, sous la même réserve, avoir des vues par côté ou obliques sur le même héritage, s'il n'y a six décimètres de distance. M. et Mme X... ne situaient pas avec certitude la ligne séparant les deux fonds, la cour d'appel de Paris en a déduit souverainement que ceux-ci ne démontraient pas que les quatre fenêtres litigieuses étaient à une distance inférieure à six décimètres
La création d'une vue oblique requiert un minimum de 0.60 m de distance de la parcelle voisine pour être réalisable.
Le second moyen est plus intéressant.
M. et Mme X... avait fait remarquer que la construction réalisée par M. Z... générait des troubles anormaux de voisinage. Ils demandaient que M. Z... soit condamné au paiement de dommages-intérêts sous prétexte que nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. L'auteur d'un tel trouble est responsable de plein droit des conséquences dommageables qui en découlent, sans qu'il soit nécessaire de rapporter la preuve d'une faute de sa part, dès lors qu'il est démontré que ce trouble excède les inconvénients normaux du voisinage.
Le pourvoi en cassation a été rejeté attendu qu'ayant constaté, par motifs propres et adoptés, que les deux terrains étaient situés dans une zone fortement urbanisée de la petite couronne de la ville de Paris, où l'habitat évolue au gré des opérations de constructions, et retenu que M. et Mme X... ne sauraient exiger que l'ensoleillement dont ils bénéficiaient ne soit jamais modifié, la cour d'appel a pu en déduire que les troubles dont ils se plaignaient n'excédaient pas les inconvénients normaux de voisinage et a légalement justifié sa décision.
Les limites aux inconvénients normaux de voisinage
Le trouble provoqué par une construction nouvelle
CIV 3, n° 17-24176, 15/11/2018
Une maison est surplombée par un immeuble de plusieurs étages situé à 2 mètres des fenêtres du salon et de la chambre. Il en résulte une perte de vue et de luminosité dans les pièces principales du logement, une dégradation du cadre de vie et une dépréciation du bien. La Cour d’appel de Bordeaux a condamné la SCI L. K. à 20 000 € de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance et 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de valeur du bien.
Le pourvoi de la SCI a été rejeté attendu qu'ayant relevé que la maison de Mme Y... était désormais surplombée par un immeuble de plusieurs étages situé à deux mètres des fenêtres de son salon et de sa chambre, entraînant une perte de vue et de luminosité dans les pièces principales de son logement, et que, même en tenant compte de l'urbanisation importante du secteur, cette nouvelle construction avait dégradé son cadre de vie et engendré une dépréciation de son bien, la cour d'appel, qui a ainsi caractérisé le caractère anormal du trouble de voisinage dont elle a souverainement constaté l'existence, a légalement justifié sa décision
CA Grenoble 1ère Ch., RG 99/02519, 06/01/2003, M. R.M. c/ M. R.D.
M. R.M. a fait construire une maison sur un remblai situé à une hauteur supérieure à celle du sol naturel. M. R.M. a surélevé la plate forme située devant sa maison afin d’implanter une piscine. Pour contenir la terre qui s’est éboulée, il a construit un mur de soutènement.
Le TGI de Gap a condamné M. R. M. à retirer son remblai et son mur de soutènement sur toute leur longueur, à une distance de 1,9 m de la ligne séparative représentée par la face externe des poteaux du grillage clôturant sa propriété de celle de son voisin.
La Cour d’appel a confirmé le jugement en disant que M. R.M. a volontairement exhaussé son terrain par rapport à celui de M. R.D. La création d’une plate forme qui surplombe le terrain de M. R.D. entraîne la création de vues droites sur ce fonds. La création de telles vues est d’autant plus importante que le remblai est destiné à accueillir une piscine, de sorte que les utilisateurs de cette piscine dominent le terrain de M.R.D. Le tribunal a fait une application pertinente des dispositions de l’art. 678 du Code civil qui dispose que l’on ne peut avoir des vues droites ou fenêtres d'aspect, ni balcons ou autres semblables saillies sur l'héritage clos ou non clos de son voisin, s'il n'y a dix-neuf décimètres de distance entre le mur où on les pratique et ledit héritage, à moins que le fonds ou la partie du fonds sur lequel s'exerce la vue ne soit déjà grevé, au profit du fonds qui en bénéficie, d'une servitude de passage faisant obstacle à l'édification de constructions.
La Cour a condamné sous astreinte provisoire de 100 € par jour de retard M. R.M. a retirer son remblai et son mur de soutènement.
Le trouble causé par la création d’une vue plongeante
CIV 3, n° 18-11424, 21/03/2019
M.M…propriétaire d’une maison dans un lotissement se voit contester, par ses voisins, MM. O…et U…la légalité de la conformité de la construction par rapport au règlement du lotissement. La Cour d’Appel d’Aix-en-Provence a condamné M.M… à 20 000 € de dommages-intérêts en raison d’une vue plongeante sur la propriété de M.O…et U…agrémentée d’une piscine, ce qui dévalorise ce bien. MM. O…et U…ont fait grief à l'arrêt attaqué en date du 30 novembre 2017 d'avoir cantonné la condamnation de M. F... M... à lui verser la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Leur pourvoi a été rejeté : Attendu que M. O... fait grief à l'arrêt du 30 novembre 2017 de limiter à la somme de 20 000 euros la condamnation de M. M... à des dommages-intérêts ; Mais attendu qu'ayant relevé que la création d'une vue plongeante sur la propriété de M. O..., qui était agrémentée d'une piscine, créait un préjudice lié à la dévalorisation en résultant, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a souverainement apprécié la consistance du préjudice et le montant des dommages-intérêts propres à le réparer, et a ainsi légalement justifié sa décision ;
CA Versailles 1ère Ch., 1ère sect., RG 4731/87, 24/01/1989, Époux M c/ Mme V
Il est autorisé de créer une ouverture avec une vue droite à 1,90 m minimum. Si ces distances ne sont pas respectées, seuls des jours pourront alors être aménagés à une hauteur minimale de 2,60 m en rez-de-chaussée et de 1,90 m à l’étage. L’art. 677 du Code civil dispose en effet que ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu'à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu'on veut éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs.
Les époux M…avaient procédé à un exhaussement de leur terrain d’environ 1 mètre avec les terres provenant des fouilles de leur construction. Ils se sont créés ainsi des vues directes et plongeantes, sans respecter la distance légale de 1,90 m prévue à l’art 677 du Code civil. Mme V…subissait lorsqu’elle était dans son jardin le désagrément résultant des vues rapprochées et plongeantes exercées par ses voisins sur sa propriété. L’expert a qualifié ce préjudice d’important. Les époux M…ont été condamnés à payer à Mme V…des dommages et intérêts en raison de ces troubles excédant la mesure des inconvénients normaux du voisinage.
Le trouble causé par une haie trop haute
CIV 3, n° 03-10077, 19/05/2004
L’art. 671 du Code civil dispose qu’il n'est permis d'avoir des arbres, arbrisseaux et arbustes près de la limite de la propriété voisine qu'à la distance prescrite par les règlements particuliers actuellement existants, ou par des usages constants et reconnus et, à défaut de règlements et usages, qu'à la distance de deux mètres de la ligne séparative des deux héritages pour les plantations dont la hauteur dépasse deux mètres, et à la distance d'un demi-mètre pour les autres plantations. Les arbres, arbustes et arbrisseaux de toute espèce peuvent être plantés en espaliers, de chaque côté du mur séparatif, sans que l'on soit tenu d'observer aucune distance, mais ils ne pourront dépasser la crête du mur. Si le mur n'est pas mitoyen, le propriétaire seul a le droit d'y appuyer les espaliers.
Selon l’art. 672 du Code civil, le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à une distance moindre que la distance légale, soient arrachés ou réduits à la hauteur déterminée dans l'article précédent, à moins qu'il n'y ait titre, destination du père de famille ou prescription trentenaire. Si les arbres meurent ou s'ils sont coupés ou arrachés, le voisin ne peut les remplacer qu'en observant les distances légales.
Un voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à moins de deux mètres de la ligne séparative, soient réduits à la hauteur de deux mètres.
La Cour d’appel de Caen a été censurée car viole les articles 671 et 672 du Code civil et ne tire pas les conséquences légales de ses propres constatations, la cour d'appel qui, pour rejeter une demande d'élagage d'une haie de thuyas située en limite séparative et excédant la hauteur de deux mètres, retient qu'en février, la haie avait été mise en conformité et que ne peut être invoqué un dépassement de la hauteur réglementaire constaté en avril puisqu'il s'agit là de la croissance naturelle de végétaux qu'il est recommandé de ne tailler qu'à l'automne.
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Caen, 5 septembre 2002), que les époux X..., se plaignant de ce que les époux Y..., propriétaires du fonds contigu au leur, laissaient pousser, à moins de deux mètres de la limite séparative, une haie de thuyas au dessus de la hauteur de deux mètres et de ce qu'ils laissaient pénétrer des ronces et mauvaises herbes sur leur propre fonds, les ont assignés en vue de faire élaguer la haie et couper la végétation dépassant sur leur fonds ;
Attendu qu'en vertu de ces textes, le voisin peut exiger que les arbres, arbrisseaux et arbustes, plantés à moins de deux mètres de la ligne séparative, soient réduits à la hauteur de deux mètres ;
Attendu que, pour débouter les époux X... de leur demande en vue d'élaguer une haie de thuyas située en limite séparative en tant qu'elle excédait la hauteur de deux mètres, l'arrêt retient qu'à la date de l'audience de première instance, soit le 28 février 2001, les époux Y..., qui avaient justement attendu la période propice pour pouvoir procéder à ce travail, avaient mis leur haie en conformité avec les textes du Code civil ainsi qu'il avait été demandé par les époux X..., que c'est en vain que ces derniers invoquent qu'au mois d'avril 2001, certains thuyas auraient dépassé de dix à quinze centimètres la hauteur règlementaire de deux mètres, qu'il s'agit là de la croissance naturelle des végétaux dont il est en l'espèce recommandé de ne les tailler qu'à l'automne, que cette croissance naturelle ne justifie pas l'appel interjeté ;
Qu'en statuant ainsi, tout en constatant que certains thuyas situés en limite séparative dépassaient la hauteur de deux mètres, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés.
Le trouble causé par des racines qui s’avancent chez le voisin
Civ 3, n° 14-28843, 07/07/2016
L’art. 673 du Code civil dispose que celui sur la propriété duquel avancent les branches des arbres, arbustes et arbrisseaux du voisin peut contraindre celui-ci à les couper. Les fruits tombés naturellement de ces branches lui appartiennent. Si ce sont les racines, ronces ou brindilles qui avancent sur son héritage, il a le droit de les couper lui-même à la limite de la ligne séparative. Le droit de couper les racines, ronces et brindilles ou de faire couper les branches des arbres, arbustes ou arbrisseaux est imprescriptible.
Les consorts X..., se plaignaient de l'avancée, sur leur terrain, des racines des peupliers implantés sur la parcelle de M. et Mme Y.... Ils les ont assignés en arrachage de ces arbres, sur le fondement de l'article 673 du code civil, en invoquant l'impossibilité de procéder à une simple coupe des racines. Ils ont obtenus gain de cause auprès de la Cour d’appel de Paris.
Le pourvoi en cassation de M. et Mme Y a été rejeté attendu qu'ayant relevé, d'une part, que les racines horizontales des peupliers plantés chez M. et Mme Y... avançaient sur le jardin des consorts X..., comme en attestaient la présence de plusieurs drageons de peupliers, d'autre part, que, selon le rapport de l'expert, il était impossible de connaître la quantité de racines présentes dans le jardin, que leur coupe impliquerait un travail colossal endommageant totalement celui-ci, qu'elle fragiliserait les peupliers qui deviendraient dangereux et qu'en réalité ce type d'opération ne se pratiquait pas, le retrait des racines nécessitant en fait la coupe entière de l'arbre, voire son dessouchage, la cour d'appel, qui a souverainement retenu qu'il était impossible de couper les racines des peupliers uniquement dans la propriété X..., a pu en déduire, sans se fonder sur l'existence d'un trouble anormal de voisinage, que l'abattage des arbres devait être ordonnée.