Baux commerciaux: le droit au maintien dans les lieux et l'indemnité d'occupation

Publié le 18 Juin 2024

L’article 20 du décret du 30 septembre 1953 posa le principe que l’indemnité d’occupation devait correspondre à la valeur locative, à savoir le fait qu’un tribunal pouvait fixer cette indemnité sans être contraint par l’ancien loyer et par conséquent désormais exclusivement en fonction :

  • De la valeur locative des locaux,
  • De la situation devenue précaire du preneur.

Ainsi au visa de l’article L 145-28 du Code de commerce, le preneur est tenu de payer une indemnité dite d’occupation pendant la durée de son maintien dans les lieux desquels il est évincé.

En matière de calcul de l’indemnité d’occupation, la valeur locative est calculée exclusivement sur la base de la valeur locative statutaire[1] (CA Lyon, 31/05/2018, n° 16/02850 ; CA Orléans, 28/05/2015, n° 14/02938 ; CA Aix-en-Provence, 05/11/2015, n° 14/14362 ; Civ. 3, 03/10/2007, n° 06-17766 ; CA Versailles, 02/07/2019, n° 18/00886) et ce, au visa de l’article L 145-33 du Code de commerce, compte tenu de tous les éléments d’appréciation (Civ. 3, 05/09/2012, n° 11-19200). Elle exclue toute évaluation sur la base du seul mode de calcul contractuel (CA Toulouse, 24/11/2010, n° 04/04357).

Le montant de l’indemnité d’occupation est fixé selon les mêmes critères qu’un loyer déplafonné, sans référence au plafonnement.

Par un arrêt en date du 17 juin 2021, la Cour de cassation a confirmé que la fixation de l’indemnité d’occupation due par le preneur à compter de l’expiration du bail commercial doit être fixée en fonction de la valeur locative, sans appliquer le mécanisme du plafonnement du loyer (Civ. 3, 17/06/2021, n° 20-15296). Il est constant que l’indemnité d’occupation n’est pas soumise au plafonnement, et qu’elle ne peut pas non plus correspondre au loyer prévu par le bail. Elle doit dès lors correspondre à la valeur locative, cette dernière étant la valeur locative « judiciaire » et non pas la valeur locative de marché (CA Versailles, 02/07/2019, n° 18/00886). La valeur locative statutaire n’est pas une valeur locative de marché mais une valeur locative de renouvellement, exclusive de tout plafonnement (CA Paris, 28/11/2012, n° 10/24154 ; CA Versailles, 22/03/2007, n° 06/00671) à la hausse comme à la baisse par rapport au dernier loyer acquitté et, dans tous les cas, fixée à la valeur locative telle que la réglemente le statut des baux commerciaux. Jurisprudence constante depuis les arrêts suivants : Civ. 3, 14/11/1978, n° 77-12032 ; Civ. 3, 27/11/2002, n° 01-10058) : la règle du plafonnement du loyer s’applique à la fixation du prix du bail renouvelé ou révisé, mais non à l’indemnité d’occupation due par le preneur maintenu dans les lieux à l’expiration du bail en application de l’article L. 145-28 du Code de commerce.

Abattement au motif de la précarité 

L'indemnité d'occupation est de nature statutaire. Il ne s'agit pas d'indemniser un préjudice mais de rétribuer le prix d'une mise à disposition précaire des locaux en attente du jugement.

La valeur locative qui doit être retenue pour déterminer le montant de l’indemnité d’occupation est fréquemment minorée par l’application d’un abattement retenu au motif de la précarité bien que le locataire ne soit pas obligé de la subir en pouvant quitter les lieux à tout moment. Cet abattement n’est pas justifié, dès lors que le locataire évincé ne démontre pas le préjudice (Civ. 3, 06/11/1970, Rev. Loy. 1971, 32 ; JP.1971, III, p.229).

L’indemnité d’occupation peut être réduite par rapport au loyer au moyen d’un abattement de précarité, lequel abattement ne consiste pas en une sanction du bailleur pour avoir mis fin au bail mais en une compensation pour le fait, pour l’ancien locataire, d’être dans une situation transitoire (Civ. 3, 09/05/2019, n° 17-23728).

Cet abattement fait toujours référence aux usages de la profession et ne peut être retenu par voie d’affirmation générale. Il est variable d’une espèce à l’autre et est le plus fréquemment observé à hauteur de 10% (CA Versailles, 22/03/2007, n° 06/00671).  A noter qu’il a été rencontré des cas ayant justifié de minoration de la valeur locative nettement plus importante (Civ. 3, 18/01/2011, n° 09-17007).

Abattement pour les taxes et diverses charges et accessoires

Lorsque le bailleur sollicite une indemnité d’occupation, il a tout intérêt à ne pas omettre de solliciter dans sa demande de fixation de l’indemnité d’occupation que celle-ci soit majorée des charges et accessoires, faute de quoi celles-ci ne seraient pas dues. L'indemnité d'occupation en raison de cette négligence du bailleur ne pourrait se voir majorée d'aucune somme (si ce n'est de la TVA si le bail assujettissait le loyer à la TVA).

Le preneur quant à lui ne doit pas prendre le risque de ne pas payer les charges et accessoires.

Le maintien dans les lieux se fait aux conditions et aux clauses du contrat de bail expiré (Civ. 3, 05/09/2012, n° 11-19200). En conséquence, les clauses du bail entraînent nécessairement la possibilité de le résilier en vertu d’une clause résolutoire (Civ. 3, 09/04/1970, n° 68-14192 ; Civ. 3, 14/02/1973, n° 71-14648).

Pour refuser de payer l’indemnité d’éviction, le bailleur pourrait invoquer une infraction aux clauses du bail et utiliser la clause résolutoire prévue au bail.

Le preneur doit respecter les clauses et conditions du bail ; en cas d’infraction, il encourt la résiliation du bail et la perte de l’indemnité d’éviction.

La récupération des charges sur le locataire doit être clairement mentionnée au bail.

Les charges, impôts, taxes et redevances doivent être visés par le bail pour être récupérables sur le locataire. Par exemple, en cas de pluralité de locataires dans un même immeuble, la clé de répartition doit être précisée (CA Montpellier, 28/03/2023, n° 20/05424). S'agissant de la taxe sur les bureaux, une clause expresse au contrat est requise. Les mentions "taxes locatives et charges diverses" ou "l'ensemble des taxes et impôts afférents aux locaux loués et notamment la taxe d'enlèvement des ordures ménagères et la taxe foncière" sont inopérantes en l'absence de disposition expresse (Civ., 25/01/2023, n°21-17.985; CA Paris, 29/03/2023, n°21/11677).

Bailleur et preneur sont tenus de respecter leurs obligations.

L’occupation, sans doute précaire mais statutaire, fait que, pendant toute cette période, l’immeuble ne peut demeurer à l’abandon et, au contraire, les parties doivent remplir l’une et l’autre leurs obligations conventionnelles d’entretenir les lieux.

Les clauses imposant au preneur le remboursement de la taxe foncière et autres taxes sont légalement cause de minoration de la valeur locative.

En renouvellement de bail, la taxe foncière est systématiquement déduite de la valeur locative.

La récupération des taxes sur le locataire est libre, sur la base de la convention des parties, à l’exception des impôts et taxes dont le redevable est le bailleur, sauf les taxes foncières, les taxes additionnelles à la taxe foncière, ainsi que les impôts et taxes liés à l’usage du local ou à un service dont bénéficie le locataire.

Si l’art. 1400 du CGI attribue au bailleur, propriétaire du local, l’impôt foncier qui incombe à l’immeuble, l’art. R 145-35 - 3° du Code de commerce exclut l’impôt foncier de la liste des charges qui ne sont désormais plus refacturées depuis le 05/11/2014.

Comme avant la loi Pinel du 18/06/2014, la refacturation au preneur d’une dépense fiscale incombant au bailleur demeure autorisée. Cette pratique caractérise une charge exorbitante de droit commun par le coût supplémentaire pour le preneur. En contrepartie, elle justifie une minoration de la valeur locative (Civ. 3ème, 15/02/2018, n° 16-19818).

Après avoir interrogé des professionnels du secteur GMS, la refacturation des taxes est une pratique courante. Elle est prise en compte dans le calcul de l’indemnité d’occupation.

La possibilité de faire peser sur le locataire les impôts fonciers et autres taxes (bureaux, locaux commerciaux, stationnements, etc.) peut justifier, à l’appréciation souveraine du juge, un abattement ou une déduction du montant réel refacturé au preneur.

La cour d'appel de Versailles a jugé en avril 2023 s'agissant du centre commercial Espace Saint Quentin à Montigny-le-Bretonneux, qu'il y a lieu à abattement au titre de la valeur locative à raison des clauses exorbitantes qui pèsent sur le locataire, quand bien même les autres locataires du centre supportent les mêmes charges, qu'il s'agisse des travaux de mise en conformité, de la vétusté, de l'assurance de l'immeuble ou des frais de gestion, comme de la taxe foncière (CA Versailles, 12ème Ch., 13/04/2023, n° 21/04006). Jurisprudence dans la lignée de l'arrêt de janvier 2023 où la Cour de cassation, se fondant sur l'art. R 145-8, a rappelé que l'impôt foncier mis à la charge du locataire par le bail constitue une charge exorbitante justifiant une diminution de la valeur locative ( Civ. 3, 25/01/2023, n° 21-21.943).

 


[1] La valeur locative statutaire ou valeur locative  légale, définie par le statut des baux commerciaux, s’oppose à la valeur locative de marché.

Elle est définie par l’Article L 145-33, 1° à 5° du Code de commerce pris en application des articles R 145-3 à 8 du même code. C’est une valeur locative judiciaire en raison de l’intervention du juge. Elle se compose notamment au visa de l’article R 145-7 du Code de commerce [prix couramment pratiqués dans le voisinage], des fixations judiciaires, des prix de renouvellements amiables et des prix de marché. Cette valeur locative statutaire est un mélange ou un mix,  une valeur plurielle, que l’on peut qualifier de raisonnable ou de judiciairement raisonnée.

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :